Pratiques anticoncurrentielles d’Amazon sur le marché de détail en ligne : l’étau se resserre

Affaires - Droit économique
16/11/2020
La Commission européenne a annoncé, le 10 novembre 2020, qu’elle avait communiqué ses griefs à l’entreprise américaine dans le cadre de son enquête relative à l’utilisation de données non publiques de vendeurs indépendants sur sa place de marché, au bénéfice de sa propre activité de vente au détail. La Commission ouvre également une seconde enquête formelle concernant la « boite d’achat » Amazon et le label Prime.

Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine



L’utilisation par Amazon des données des vendeurs de sa place de marché
 
Faisant suite à une enquête ouverte formellement par la Commission le 17 juillet 2019, la communication des griefs adressée à Amazon va permettre à l’entreprise de faire part de ses observations à la Commission. Cette dernière estime, à titre préliminaire, qu’Amazon aurait profité de l’accès aux données commerciales non publiques des vendeurs tiers présents sur sa plateforme pour calibrer ses propres offres de détail et ses décisions commerciales stratégiques. L’entreprise américaine joue en effet un double rôle puisqu’elle met à la disposition de vendeurs indépendants une place de marché (marketplace) tout en y vendant également des produits en tant que détaillant. Les données récoltées sur la plateforme seraient ainsi à la disposition des salariés de l'activité de vente au détail d'Amazon et intégrées aux systèmes automatisés de cette activité.
 
Une telle utilisation systématique de ces données permettrait à Amazon d'éviter les risques normaux de la concurrence sur le marché de détail, ce qui constitue une violation de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatif à l’abus de position dominante.
 
Enquête sur les pratiques d’Amazon en ce qui concerne sa « boîte d’achat » et le label Prime
 
La Commission enclenche également une enquête concernant la « boîte d’achat » (« Buy Box ») et le label Prime d’Amazon. En effet, Amazon tirerait profit de cette boîte d’achat au détriment de ses concurrents et traiterait de manière préférentielle les commerçants qui font usage de ses services logistiques et de livraison. La boîte d’achat, correspondant au bouton « Ajouter au panier », offre une meilleure visibilité aux vendeurs, facilite la vente (achat en un clic) et est donc un atout stratégique important pour ceux qui en bénéficient. Environ 80 % des transactions sont réalisées grâce à la boîte d’achat. Pour l’obtenir, les marchands sont soumis à des conditions d'éligibilité qui ne sont jamais explicitées par l’entreprise américaine.
 
Le jeu de la libre concurrence pourrait donc se voir faussé en cas de discrimination d’Amazon qui refuserait de proposer à un vendeur l’obtention de la « Buy Box » pour une offre de produit similaire à un prix moins onéreux.
 
Par ailleurs, la Commission s’intéresse à l’usage de l’option « Prime » qui permet à l’acheteur abonné de profiter d’un délai de livraison extrêmement rapide. Elle souligne qu’« il est important pour les vendeurs d’atteindre ces consommateurs parce que le nombre d’utilisateurs Prime ne cesse de croître et que ceux-ci ont tendance à générer plus de ventes sur les places de marché d’Amazon que les autres utilisateurs ».
 
« Nous devons veiller à ce que les plateformes jouant un double rôle et détenant un pouvoir de marché, comme Amazon, ne faussent pas la concurrence. » – Margrethe Vestager.
 
Ces annonces interviennent dans un contexte particulier pour l’entreprise, déjà sous le feu des critiques en France dans le cadre du second confinement. Amazon a contesté dans un communiqué les affirmations préliminaires de la Commission.
 
En plein développement du e-commerce, Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne, rappelle qu’« il est important que tous les vendeurs bénéficient d’un accès équitable et non faussé aux consommateurs en ligne ». L’enquête lancée par la Commission sur ces éléments permettra d’en juger. Ces points sont également en examen dans le cadre du Digital Services Act, actuellement en préparation au sein de la Commission.
 
Si une communication des griefs ne préjuge pas de l’issue d’une enquête, une amende de plusieurs milliards d’euros pourrait être infligée à l’entreprise américaine Amazon, si ces pratiques s’avéraient être constitutives d’abus de position dominante régi par l’article 102 TFUE. En effet, ces abus de position dominante sont prohibés et sont sanctionnés d’une amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. Une possibilité qui pourrait cependant être écartée par la conclusion d’une procédure d’engagements, comme cela avait été le cas entre la Commission et Amazon en 2017 à propos des livres numériques (lire Livres numériques : les engagements d'Amazon acceptés par Bruxelles, Actualités du droit, 5 mai 2017).
 
Pour aller plus loin
Sur les règles applicables en matière d’abus de position dominante, voir Le Lamy Droit économique 2020, nos 935 et suivants.

Par Paul Beugel et Claire Borghese
Source : Actualités du droit