Naufrage de l’Erika : pour l’avocat général de la CJUE, les aides octroyées aux pêcheurs n’étaient pas des aides d’État

Affaires - Droit économique
25/03/2020
Dans une décision du 14 juillet 2004, la Commission européenne avait qualifié d’aides d’État incompatibles les mesures exécutées en faveur des pêcheurs de l’Ouest de la France à la suite du naufrage de l’Erika en 1999. Pour l’avocat général Pitruzzella, qui a présenté ses conclusions sur cette affaire le 5 mars 2020, cette mesure ne pouvait être qualifiée de la sorte, puisqu’elle n’a profité qu’indirectement aux entreprises.
En l’occurrence, les mesures d’aide litigieuses mises à exécution par la France à la suite du naufrage de l’Erika, le 12 décembre 1999, prenaient la forme d’un allègement des charges sociales, répercuté aux salariés, en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs de six départements de l’Ouest de la France sur une période allant du 15 avril au 15 octobre 2000. Dans une décision du 14 juillet 2004 (Comm. UE, 14 juill. 2004, déc. n° 2005/239/CE), la Commission européenne avait déclaré incompatibles ces aides et ordonné à la France de les récupérer auprès des bénéficiaires, conformément aux obligations imposées par le droit européen.
 
Dans un arrêt rendu le 15 février 2019 (CE, 15 févr. 2019, n° 411507), le Conseil d’État avait sursis à statuer sur l’affaire qui lui était présentée et demandé à la CJUE de se prononcer sur l’interprétation à donner à cette décision de la Commission. La Haute juridiction demandait, notamment, si seuls les allègements de cotisations patronales devaient être considérés comme incompatibles ou si les allègements de cotisations salariales, qui ne bénéficiaient pourtant pas directement aux entreprises, étaient également incompatibles.
 
Afin qu’une mesure soit considérée comme une aide d’État relevant de l’article 107 §1 du TFUE, celle-ci doit constituer un avantage consenti à l’entreprise bénéficiaire par l’État. L’avocat général procède donc à une analyse précise du bénéfice tiré par l’entreprise des allègements de cotisations salariales. Il retient sur ce point que, puisque les entreprises n’avaient d’autre possibilité que de répercuter l’allègement sur les salaires de leurs employés, elles ne sauraient être considérées comme « bénéficiaires directes » de cet allègement. En effet, les entreprises étaient tenues de verser aux organismes compétents les sommes précomptées sur les salaires de leurs employés à titre de cotisations sociales salariales, mais « n’étaient pour autant pas redevables de ces allocations », celles-ci étant à la charge des salariés. Dès lors, la répercussion sur ces derniers des allègements de cotisations salariales constituait une « obligation légale » (pts 68 à 72).
 
Considérant que la décision de la Commission visait tant l’allègement des cotisations patronales que celui des cotisations salariales, l’avocat général retient que celle-ci doit être déclarée invalide par la Cour de justice, dans la mesure où elle qualifie « d’aide d’État incompatible avec le marché commun » sujet à un ordre de récupération l’allègement des cotisations salariales qui n’avait en fait profité qu’indirectement aux entreprises. Selon lui, seules les cotisations patronales pouvaient être qualifiées de la sorte.
 
Il reviendra à la Cour de justice dans les prochains mois de confirmer ou d’infirmer ce raisonnement.
 
Pour aller plus loin
– Pour des développements détaillés en matière d’aides d’État sous l’angle privé, voir Le Lamy Droit économiquenos 2210 et suivants.
– Pour des développements détaillés en matière d’aides d’État sous l’angle public, voir Le Lamy Droit public des affairesnos 775 et suivants.
Source : Actualités du droit