Aides d’État : la création d’une plateforme de passation électronique des marchés publics est-elle une activité économique ?

Public - Droit public des affaires
Affaires - Droit économique
12/11/2019
Dans une décision rendue le 7 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré que le financement d’une plateforme dédiée à la passation électronique des marchés publics ne relevait pas de la notion d’aide d’État, dès lors que l’activité poursuivie n’était pas de nature économique mais devait être considérée comme liée à l’exercice de prérogatives de puissance publique.
En l’espèce, un financement avait été accordé par le Royaume des Pays-Bas pour la création et l’introduction d’une plateforme de passation électronique des marchés publics. Plusieurs prestataires de services dans ce domaine affirmaient que ce financement constituait une aide d’État illégale. Saisie par ces entités, la Commission européenne avait adopté une décision (Comm. UE, 18 déc. 2014, aff. SA.34646, E-procurement platform TenderNed, C(2014) 9548 final) dans laquelle elle jugeait que la mesure en cause n’impliquait pas d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
 
Le Tribunal de l’Union, saisi à son tour, avait également rejeté la requête (Trib. UE, 28 sept. 2017, aff. T-138/15, Aanbestedingskalender et a. c/ Commission, ECLI:EU:T:2017:675). Les requérants ont alors demandé à la CJUE d’annuler cette décision.
 
Que prévoit la plateforme en question ?
 
La plateforme litigieuse propose des services allant de la publication de l’avis d’appel d’offres à l’attribution du marché public.
 
Plus précisément, elle offre gratuitement aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités relevant de domaines particuliers plusieurs fonctionnalités, dont :
– un module de « publication des avis de marchés publics et des documents relatifs à ces marchés » ;
– un module de dépôt d’offres « proposant des fonctionnalités comme l’échange de questions et de réponses ainsi que le téléchargement d’offres et soumissions », accompagné d’une rubrique dans laquelle les opérateurs économiques peuvent saisir et gérer leurs données.
 
Acte de puissance publique ou activité économique ?
 
La Commission avait estimé, contrairement à ce qu’alléguaient les requérants, que les mesures de financement accordées par les autorités néerlandaises pour la création et l’introduction de la plateforme ne relevaient pas de la notion d’aide d’État, dès lors que l’activité poursuivie « n’était pas de nature économique ». En effet, la notion d’aide d’État, qui ne s’étend qu’aux activités de nature économique, exclut celles correspondant à l’« exercice de l’autorité publique » (voir en ce sens, notamment, CJUE, 18 mars 1997, C-343/95, Diego Calì & Figli, ECLI:EU:C:1997:160, CJUE, 12 juill. 2012, aff. C‑138/11, Compass-Datenbank, ECLI:EU:C:2012:449, ou encore CJUE, 28 févr. 2013, aff. C-1/12, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, ECLI:EU:C:2013:127).
 
Pour la Commission, l’activité litigieuse devait être considérée comme se rattachant à l’exercice de prérogatives de puissance publique, dès lors que les fonctionnalités offertes par la plateforme constituaient les moyens par lesquels les entités adjudicatrices et le Royaume des Pays-Bas respectaient les obligations leur incombant en vertu des règlementations européennes et nationales en matière de passation des marchés publics.
 
Ce raisonnement avait été approuvé par le Tribunal en 2017, dans les termes suivants : « (…) par la nature et l’objet de son activité qui sont de mettre à la disposition des entités adjudicatrices, à titre gratuit, des fonctionnalités allant de la publication à l’attribution des marchés publics, en passant par la soumission des offres, et en tenant compte des règles auxquelles elle est soumise, à savoir les directives et la loi sur la passation des marchés publics, l’activité de (la plateforme), qui a été créée et qui est directement exploitée par le ministère, est étroitement liée à l’activité de passation des marchés publics des entités adjudicatrices et se rattache, dès lors, à l’exercice de prérogatives de puissance publique ».
 
Le critère du rattachement
 
Le jugement du Tribunal est validé par la CJUE dans cette décision du 7 novembre 2019. La juridiction retient en effet que le Tribunal a correctement repris et appliqué le critère du rattachement des activités à l’exercice de prérogatives de puissance publique, tel qu’issu de la jurisprudence de la Cour de justice (cf arrêts précités).
 
Pour rappel, pour l’appréciation de la qualification d‘aide d’État, la Cour a exclu du champ des activités présentant un caractère économique justifiant leur soumission au droit de la concurrence les activités correspondant à l’« exercice de l’autorité publique ». Dans ce contexte, les activités pouvant être « rattachées » à l’exercice de prérogatives de puissance publique ne sont ainsi pas considérées comme étant « de nature économique » et donc relevant du champ des aides d’État.
 
Le moyen selon lequel aucune des fonctionnalités offertes par la plateforme ne se rattachait, par sa nature, son objet ou les règles auxquelles elle est soumise, à l’exercice de prérogatives de puissance publique, est donc rejeté par la cour au vu des développements précédents.
 
Pour des développements détaillés en matière d’aides d’État sous l’angle public, voir Le Lamy Droit public des affaires 2019, nos 775 et suivants.
Pour des développements détaillés en matière d’aides d’État sous l’angle privé, voir Le Lamy Droit économique 2019, nos 2210 et suivants.
Source : Actualités du droit