Bilan quantitatif de l’activité de l’Autorité polynésienne de la concurrence : évaluation comparée des coûts

Affaires - Droit économique
19/09/2019
À l'occasion de la parution du quatrième rapport annuel de l’Autorité polynésienne de la concurrence, Florent VENAYRE, Professeur en sciences économiques, GDI EA 4240, Université de la Polynésie française, revient sur ce rapport. Après avoir recensé dans un premier article l'ensemble des productions de cette autorité de concurrence ultra-marine, il s'intéresse ici à la question des coûts de fonctionnement de l'Autorité.
Outre le fait établi dans notre article précédent que les rapports annuels semblent attachés à présenter favorablement l’action de l’APC, il convient de pouvoir identifier si l’activité observée de cette dernière s’inscrit dans une productivité normale pour une jeune autorité, d’une part, et si l’APC dispose bien, d’autre part, du budget nécessaire à l’accomplissement de ses missions. Il est en effet bien évident que si son budget s’avérait trop contraint, l’activité de l’Autorité s’en ressentirait négativement sans pour autant que sa productivité, son organisation ou ses compétences ne puissent être mises en cause.
 
I. – Évolution des dotations budgétaires
 
Il est en premier lieu nécessaire de connaître les dotations dont l’Autorité polynésienne de la concurrence a pu bénéficier depuis sa création[1]. Le tableau 1 synthétise ainsi les budgets annuels alloués à l’APC de juillet 2015 (date de la nomination de son président) à la fin de l’exercice 2018. Depuis 2017, la première année pleine à effectif plein de l’Autorité, la dotation pour le budget de fonctionnement de l’APC s’est stabilisée à 185 millions de francs Pacifique[2]. Ce montant, qui équivaut à un peu plus d’un million et demi d’euros, a encore été reconduit pour l’année 2019. Le tableau 1 recense également, en sus, les différentes productions de l’APC qui ont été détaillées dans le premier volet de cette étude, afin de pouvoir les mettre en relation dans un second temps avec les budgets alloués[3].
 
Tableau 1 : Évolution des budgets et productions de l’APC
Années Budgets Productions
Millions Fcfp Milliers €
2015 70,71 592,55 0
2016 190 1 592,2 8
2017 188 1 575,44 13
2018 185 1 550,3 11
TOTAL 633,71 5 310,49 32
 
 
Les montants figurant dans le tableau 1 semblent en première lecture assez conséquents : plus de 5,3 millions d’euros en 3 ans et demi, pour une collectivité de 275 000 personnes environ. Cela ne permet pas, néanmoins, de garantir de facto que de tels montants soient suffisants pour permettre un exercice pleinement efficace de l’ensemble des missions de l’Autorité. Il est donc nécessaire de pouvoir disposer de comparatifs.
 
II. – Coûts unitaires et comparaisons géographiques
 
Dès lors que la Polynésie française est une collectivité ultramarine de la République, le référent immédiat qui vient à l’esprit est l’Autorité de la concurrence française. Le rapport annuel 2017[4] de l’autorité métropolitaine mentionne ainsi un budget global de 22,6 millions d’euros (p. 30), pour un total de 605 décisions et avis rendus (p. 10). Néanmoins, une comparaison entre métropole et Polynésie française se heurte nécessairement à des limites importantes, qu’il s’agisse d’effets d’échelle, bien entendu, mais également de la différence d’ancienneté entre les deux autorités. La montée en charge du travail d’une autorité de concurrence conduit en effet à des coûts unitaires par dossier traité qui sont plus importants au début de sa mise en place que par la suite.
À cet égard, nous disposons également d’un autre élément de comparaison tout à fait intéressant grâce à la Nouvelle-Calédonie. Cette collectivité a elle-même installé très récemment sa propre autorité : l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ACNC), dont la présidente a été nommée en janvier 2018[5]. Le rapport 2018 de l’ACNC[6] indique que le budget de l’Autorité s’est élevé à 155,62 millions de Fcfp, soit environ 1,3 million d’euros (p. 19).
Au cours de cette première année d’exercice, l’ACNC a rendu 27 productions distinctes (rapport 2018 de l’ACNC, p. 39[7]), répertoriées dans le tableau 2.
 
Tableau 2 : Activité déclarée et observée de l’ACNC en 2018
2018 Productions Proportions
PAC 0 0 %
CC 7 25,9 %
SC 8 29,6 %
Avis 12* 44,5 %
TOTAL 27 100 %
 
* Dont 2 « recommandations », terminologie désignant les avis sur autosaisines
 
D’ores et déjà, on peut noter une activité particulièrement importante (27 productions au cours de la première année de fonctionnement) au regard de celle qui a été présenté dans le tableau 1 pour l’APC (32 productions en trois ans et demi), et ce en dépit d’un budget annuel dont nous avons vu qu’il était un peu plus faible pour la Nouvelle-Calédonie. En conséquence, le niveau du budget alloué à l’APC ne saurait être considéré comme handicapant pour la pleine réalisation de ses missions.
Ces différentes informations permettent d’établir les calculs de coûts unitaires et les comparaisons reportées dans le tableau 3. Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, les autorités étant suffisamment récentes, on retient l’ensemble de l’activité et du budget reçu depuis leur création. Comme cela est aisé à comprendre, ce n’est en revanche pas possible pour l’Autorité de la concurrence métropolitaine, pour laquelle on ne considère donc que la dernière année disponible, c’est-à-dire 2017.
 
Tableau 3 : Coûts comparés des autorités de concurrence (F, NC, PF)
(en €) Budget Productions Coût unitaire Surcoût/F
ADLC (F) 22 600 000 605 37 355 -
ACNC (NC) 1 304 096 27 48 300 29 %
APC (PF) 5 310 490 32 165 953 344 %
 
 
Comme cela été expliqué ci-dessus, la comparaison avec la métropole doit être a priori considérée avec grande précaution. Notamment, la comparaison du nombre d’affaires traitées, entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, d’une part, et la métropole d’autre part, ne serait pas pertinente. L’activité métropolitaine apparaîtrait bien entendu très largement disproportionnée, même si la Cour des comptes vient par ailleurs de souligner deux faiblesses de l’activité française : volume d’activité assez modeste et délais de traitement des dossiers trop longs, appelant en conséquence à une plus grande efficacité de l’organisation du travail[8].
Il n’en reste pas moins que le référentiel métropolitain permet d’établir un benchmark de surcoût pour les deux jeunes autorités du Pacifique (dernière colonne du tableau 3). Ainsi, on voit que le coût moyen d’une décision ou d’un avis, en Nouvelle-Calédonie, se situe aux alentours de 48 000 euros, ce qui est supérieur de 29 % au coût français (de 37 000 euros environ). Une telle différence peut aisément s’expliquer par les effets de taille et de jeunesse qui affectent l’ACNC, ainsi que par le coût de la vie qui est plus élevé en Nouvelle-Calédonie.
Concernant le cas de l’Autorité polynésienne de la concurrence, on parvient à un coût moyen par décision ou avis de 166 000 euros environ, soit 3,5 fois plus que pour l’autorité calédonienne. Cela représente, par rapport au référentiel français, un surcoût de 344 %, qui, cette fois, ne saurait trouver d’explications satisfaisantes dans les effets d’échelle, de récence, ou de différentiel de coût de la vie. Notons par surcroît que ce coût unitaire est calculé sur l’ensemble de l’expérience de l’APC depuis sa création (3,5 ans), ce qui tend à le faire diminuer. Ainsi par exemple, en ne considérant que les 8 premières productions rendues au cours de la première année et demie de la mise en place de l’Autorité, on trouverait un coût moyen par avis ou décision de 273 000 euros.
Il convient de préciser que les seuils de contrôle des concentrations sont plus bas en Nouvelle-Calédonie, ce qui pourrait potentiellement engendrer un surnombre d’opérations ne présentant pas de difficulté car d’importance mineure (et, ainsi, augmenter le nombre de productions sans réel effort en parallèle pour l’ACNC). Cet argument peut cependant être écarté, dans la mesure où l’activité de contrôle des concentrations représente 25,9 % de l’activité globale de l’ACNC, tandis que cette proportion est de 31,3 % pour l’APC. Par ailleurs, sur 10 décisions de concentration de l’APC, 7 concernaient le même secteur, puisqu’il s’agissait de rachats d’hôtels[9].
 
III. – Un désir de transparence budgétaire accrue
 
À la faveur de la révision du code de la concurrence de 2018, le législateur polynésien avait souhaité renforcer les dispositions permettant une meilleure information sur l’utilisation du budget de l’Autorité polynésienne de la concurrence. Cette mesure s’inspirait très largement de la loi française de 2017 sur les AAI[10].
Ainsi, alors que le contenu du rapport annuel de l’APC avait jusqu’alors été laissé sans précision particulière, se contentant de mentionner qu’il devait rendre compte de son activité, l’article LP. 610-9 du code de la concurrence dispose maintenant qu’il doit contenir une annexe fournissant un certain nombre de renseignements budgétaires.Conformément à ce qu’impose l’article 23 de la loi de 2017 sur les AAI précitée, il est donc dorénavant nécessaire d’indiquer explicitement les rémunérations et avantages du président et des membres. À la différence de la loi française, ceux des agents des services de l’Autorité doivent également être précisés, ce qui peut sans doute s’expliquer par le fait que dans le cas polynésien, les membres du collège étant non permanents (en dehors, bien évidemment, du président de l’Autorité), leurs indemnités ne sauraient à elles seules peser sensiblement sur le budget de fonctionnement de l’Autorité.
À l’époque des échanges sur la modification du code de la concurrence, l’introduction de ces obligations avait été vivement contestée par le président de l’APC[11], et certains problèmes de ressources humaines au sein de l’Autorité, relayés par les médias, avaient ensuite fait écho à ces débats[12].
La parution du rapport annuel 2018 de l’Autorité polynésienne de la concurrence était a priori l’occasion, par l’accès à ces nouvelles données requises par l’article LP. 610-9, d’en savoir davantage sur les rémunérations des personnels de l’APC et, potentiellement, de pouvoir éclairer les motifs des surcoûts qui viennent d’être identifiés. Malheureusement, la version du rapport annuel mise en ligne ne contient pas l’annexe requise et ne permet donc pas une analyse détaillée.
Les seuls éléments dont nous pouvons disposer sont quelques indications très agrégées concernant le budget de l’Autorité (p. 71 du rapport). Le budget de fonctionnement s’élèverait ainsi pour l’année à 189 millions de Fcfp, dont 90,6 % constitueraient des rémunérations. Ainsi, les rémunérations, pour 2018, représenteraient 171,234 millions de Fcfp, pour un total de 13 personnels permanents (cf. organigramme p. 69).
Par comparaison, l’Autorité calédonienne fait état d’une rémunération globale de 126,82 millions de Fcfp (cf. rapport 2018 de l’ACNC, pp. 19) pour 12 personnels permanents (pp. 15-18). Quant à l’autorité métropolitaine, elle affiche pour 2017 une rémunération globale de 17,1 millions d’euros (cf. rapport annuel 2017, p. 30) pour un effectif de 198 (p. 29).
Le tableau 4 met ces différents éléments en relation, étant entendu qu’il est nécessaire de faire preuve d’une grande attention quant à ces chiffres. Trop d’éléments sont en effet susceptibles d’influer sur les résultats : vacances temporaires de postes ou temps partiel, nature des rémunérations, ampleur des cotisations sociales, inégalités de répartition des revenus au sein de l’organisme, etc.
 
Tableau 4 : Comparaisons indicatives de rémunérations (ADLC, ACNC, APC)
(en €) Budget Postes permanents Coût / agent Surcoût/F
ADLC 17 100 000 198 86 364 -
ACNC 1 062 752 12 88 563 2,5 %
APC 1 434 941 13 110 380 27,8 %
 
 
Conclusion
 
L’étude des bilans d’activité de l’Autorité polynésienne de la concurrence démontre une activité assez faible et, par corollaire, des coûts de fonctionnement élevés. La mise en perspective avec les premiers résultats de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie confirme ces enseignements et permet de mettre en évidence, pour l’instant, un très fort différentiel de productivité entre les deux autorités[13].
Les raisons de cette faible productivité polynésienne restent encore dans une large mesure à identifier, mais l’obtention d’éléments budgétaires complémentaires, notamment relatifs aux rémunérations, pourraient être de nature à fournir de premières pistes d’analyse. Le fait que l’annexe au rapport annuel, prévue par l’article LP. 610-9, n’ait pas été rendue publique est, à ce titre, regrettable.
Les éléments dont nous disposons à ce stade montrent quoi qu’il en soit que l’Autorité polynésienne de la concurrence peine pour l’instant à installer son action. Les décisions et avis rendus restent en nombre très limité, avec pour conséquence directe des coûts unitaires importants, même au regard de ceux d’autorités soumises à des contraintes similaires, comme celle de la Nouvelle-Calédonie. Sans doute l’APC en est-elle dans une certaine mesure elle-même consciente, puisque ses rapports annuels successifs proposent une présentation de son activité enjolivée par rapport à ce qui est effectivement observable.
Le risque de cette activité insuffisante et coûteuse est de développer à terme le sentiment, dans une certaine partie de la population, que l’utilité de l’Autorité pourrait être sujette à caution, et ce en dépit même des efforts déployés par la communication de l’Autorité pour expliquer son importance, comme le montre encore le « plan advocacy » mis en exergue dans son rapport 2018.
L’APC, dont l’existence et l’importance de la mission doivent rester indiscutées, ne peut s’abstraire de justifier l’effort financier conséquent que consent l’ensemble de la collectivité polynésienne pour assurer son financement. L’activité de l’Autorité doit être explicitée sans artifices, sans disjonction entre le déclaratif et l’observable. Cela doit s’effectuer en toute transparence, dans le respect de l’utilisation rigoureuse des fonds publics et avec toute la déontologie indispensable à l’action d’une autorité administrative indépendante.
 
[1] On dispose pour cela des rapports annuels de l’APC, de ses délibérations approuvant les budgets et de ses comptes administratifs. Les comptes administratifs peuvent faire apparaître des différences sensibles entre recettes et dépenses, particulièrement pour l’année 2015 compte tenu de la lenteur de recrutement des personnels de l’APC. Toutefois, le résultat net est systématiquement affecté au compte « Report à nouveau », permettant le cas échéant un exercice déficitaire, comme c’est le cas pour 2018 (avec un déficit de près de 10 millions). Les chiffres finalement retenus dans le tableau correspondent ainsi aux déclarations des montants réellement affectés par le gouvernement et disponibles pour l’APC. Ils sont donc supérieurs aux dépenses réelles de l’APC selon ses comptes administratifs, mais ils sont inférieurs de 10 millions environ à ses recettes selon les mêmes comptes.
[2] Le change du franc Pacifique par rapport à l’euro est fixe, le taux de conversion étant de 8,38 € pour 1 000 Fcfp.
[3] Comme expliqué dans l’article précédent, les deux décisions prises sans fondement juridique (en deçà des seuils de contrôlabilité prévus par le code de la concurrence) ne sont pas prises en compte puisqu’elles ne s’inscrivent pas dans l’activité légitime de l’APC, telle que définie par le code de la concurrence polynésien. Sur cette question de l’interprétation erronée des seuils de contrôlabilité par l’APC, voir : Montet C., 2017, « L’interprétation contestable des seuils de contrôle des concentrations par l’Autorité polynésienne de la concurrence », RLC 2017/65, pp. 43-49.
[4] Le rapport 2018 n’est pas encore disponible à l’écriture de ces lignes.
[5] Arrêté n° 2018-65/GNC du 16 janvier 2018 portant nomination de Mme Aurélie Zoude-Le-Berre en qualité de présidente de l’autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie.
[6] ACNC, 2019, Rapport annuel 2018, Juin.
[7] L’ACNC présente un schéma qui répertorie son activité en matière d’avis, de contrôle des concentrations et de surfaces commerciales. On notera d’ailleurs qu’il manque dans le schéma en question l’un des avis rendu (n° 2018-A-03 du 11 juin 2018 sur le projet d’arrêté du gouvernement portant modification de l’arrêté n° 2012-1291/GNC du 5 juin 2012). Une fois cette omission corrigée, on recense bien 27 productions au total.
[8] Cour des comptes, « Politique de la concurrence – L’action de l’Autorité de la concurrence et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) », référé du 14 mars 2019.
[9] Et la 11e décision, non retenue car contrôlée au deçà des seuils légaux, était elle-même un rachat d’hôtel.
[10] L. n° 2017-55, 20 janv. 2017, portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
[11] Voir les notes précitées de M. Jacques Mérot à destination du CESC et de la Commission économique de l’APF.
[12] Voir notamment l’article à l’origine de la polémique concernant certains recrutements ou salaires et les difficultés liées au management interne de l’Autorité : TNTV, « Des embauches illégales à l’Autorité polynésienne de la concurrence », 24 mai 2018.
[13] La productivité permet d’évaluer le niveau des productions au regard des coûts générés pour leur élaboration.
Source : Actualités du droit