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Ordonnances Macron : flexibilité, télétravail et nouveaux contrats

Social - Contrat de travail et relations individuelles, Fonction rh et grh
12/10/2017
Après avoir abordé les relations collectives dans ses deux précédentes tribunes, Denis Delcourt-Poudenx, avocat associé, Lauren Rieux et Mouna Benyoucef, avocates à la Cour, du cabinet DDP Avocats se penchent sur la prise en considération des nouvelles formes de travail, qui constitue un des objectifs affichés de la réforme du Code du travail. Pour ce faire, les ordonnances Macron encouragent le recours au télétravail et ouvrent une large brèche dans l’encadrement du recours aux contrats précaires.
 
  1. L’incitation au télétravail
Le développement du télétravail est considéré comme une évolution inéluctable des modes de travail, liée à la tertiarisation et à la digitalisation de notre économie.
  • Une définition étendue
Le télétravail se définit désormais comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication »[1].
Cette nouvelle définition voit disparaître la référence au caractère « régulier » de ce mode de travail, jugée trop contraignante par les entreprises. Désormais, chaque salarié et chaque entreprise peut recourir au télétravail, même ponctuellement.
  • Une mise en œuvre assouplie
Les modalités de mise en œuvre sont considérablement modifiées.
Avant les ordonnances, le télétravail faisait systématiquement l’objet d’une négociation individuelle et s’intégrait au contrat de travail, ou faisait l’objet d’un avenant. Cet avenant devait prévoir l’ensemble des modalités du télétravail.
L’ordonnance exonère l’employeur de cette contractualisation individuelle et permet l’établissement d’un document fixant des règles collectives.
Le nouvel article L.1222-9 prévoit que la mise en place du télétravail diffère selon son caractère régulier ou ponctuel :
  • Le télétravail régulier qu’on pourrait aussi appeler « structurel » devra être mis en place dans l’entreprise par accord collectif ou, à défaut dans le cadre d’une « charte » élaborée par l’employeur après avis du Comité Social et Economique (s’il en existe un).
 
Les règles contraignantes encadrant le télétravail seront donc définies par accord d’entreprise ou par décision unilatérale de l’employeur, pour l’ensemble des salariés, sans que ces derniers puissent négocier individuellement ses modalités de mise en œuvre.
 
  • Le télétravail ponctuel pourra, quant à lui, résulter d’un simple accord entre l’employeur et le salarié.
 
Les textes n’exigent pas de formalisme particulier. Cependant, il sera plus prudent de conserver une trace écrite de l’accord de l’employeur en cas de télétravail ponctuel. Cela évitera les contentieux relatifs à l’absentéisme ou les litiges autour de la notion d’abandon de poste.
La réforme prévoit également qu’un employeur qui souhaitera refuser la demande d’un salarié éligible à un mode d’organisation en télétravail dans les conditions prévues par l’accord collectif ou la décision unilatérale de l’employeur, devra motiver sa décision de refus.
Dorénavant, l’accès à ce mode d’organisation s’apparente à un droit du salarié, dont il ne peut être privé sans que son employeur lui en expose les raisons, et on l’imagine bien sous réserve du contrôle du juge.
  • La suppression de la prise en charge par l’employeur du coût du télétravail
Jusqu’à présent, l’employeur devait indemniser le télétravailleur des coûts inhérent à son activité.
Cette prise en charge concernait notamment, la participation aux abonnements téléphone et internet, la participation au paiement du loyer affecté à l’activité professionnelle[2]…
Pour rendre le télétravail plus attractif pour les employeurs, l’obligation de prise en charge de tous les coûts en découlant directement, à savoir le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils est supprimée.
Le salarié devra ainsi financer lui-même son droit au télétravail, sauf à ce que les négociateurs de l’accord collectif insèrent une clause qui rétablirait cette prise en charge, cela semble relever de l’évidence quand le télétravail est imposé.
Mais le renvoi à un accord est encore un net recul.
  • L’affaiblissement des devoirs de l’employeur
Même si le télétravail est généralement une mesure appréciée des salariés, elle soulève de nombreuses interrogations, notamment sur le respect des dispositions légales en matière de durée du travail.
Même s’il fait désormais la part belle aux accords d’entreprise, le Code du travail prévoit toujours, dans le souci de protéger la santé et la sécurité des salariés :
  • une durée du travail quotidienne et hebdomadaire maximale,
  • un repos hebdomadaire obligatoire,
  • l’octroi de contrepartie obligatoire en repos pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel d’heures
  • et plus récemment, un droit à la déconnexion.
Or, le télétravail, tel qu’il est conçu, n’oblige pas en lui-même l’employeur à mettre en œuvre des systèmes de contrôle du temps ni de la charge de travail imposée.
Nombreux seront les salariés tentés de travailler tous les jours de la semaine, sans prêter attention à l’amplitude horaire effectuée ni à leur droit à la déconnexion, toutes dispositions pourtant édictées dans le souci de garantir leur santé et leur sécurité.
Le développement de ce mode d’organisation conduit donc inéluctablement à un affaiblissement du traitement de l’obligation de sécurité à laquelle est tenue tout employeur.
Cet amenuisement a déjà été sensiblement amorcé par les récentes décisions de la Cour de cassation, évoquées dans notre précédente tribune, et risque fort de se poursuivre dans le cadre des nouvelles formes de travail, promues par les ordonnances.
La perte d’efficacité d’une obligation aussi essentielle que l’obligation de sécurité renvoie d’ailleurs à une réflexion plus générale, sur la nature de la relation de travail et du lien de subordination.
La subordination du salarié reste caractérisée par l’exécution d’une prestation de travail sous l’autorité de l’employeur, qui suppose que le salarié mette sa force au service de l’entreprise et se soumette à ses règles et directives.
Plusieurs des obligations normalement à la charge de l’employeur, au premier rang desquelles l’obligation d’assurer la sécurité du salarié, sont des contreparties qui découlent de ce rapport de force ontologiquement déséquilibré.
Mais la dégradation de ces contreparties altère nécessairement la nature du lien de subordination.
On peut également s’interroger sur la pertinence des modes de calcul classique du temps de travail en entreprise.
La charge de travail et son évaluation sont donc au cœur de la réflexion qui doit être engagée pour créer de nouveaux cadres de régulation.
 
  1. De l’appétence pour la « flexicurité »…
 
  • Les règles du CDD fixées au niveau de la branche
Avant la réforme du droit du travail, le recours aux contrats précaires étaient encadré par la loi et aucune dérogation n’était envisageable[3].
Ces règles impératives concernaient notamment :
  • La durée totale du CDD ou du contrat de mission (18 mois en principe [4]),
  • Le nombre maximal de renouvellements possibles (2 renouvellements en principe[5]),
  • Le délai de carence applicable en cas de succession de contrats sur un même poste,
  • Cas dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable.
Désormais, une convention ou un accord conclu au niveau de la branche peut déroger à ces principes et fixer ses propres règles, pour les adapter à la spécificité de chaque secteur d’activité.
En pratique, la branche pourra ainsi prévoir qu’un contrat à durée déterminée peut faire l’objet de 4 renouvellements sur une durée maximale de trois ans.
Ces dispositions s’appliquent uniquement aux contrats conclus postérieurement à la publication de l’ordonnance.
  • La généralisation du contrat à durée indéterminée de chantier
Le contrat à durée indéterminée de chantier existait auparavant uniquement dans certains secteurs d’activité, et notamment celui du bâtiment.
Les ordonnances généralisent la possibilité de conclure des contrat à durée indéterminée de chantier, si et seulement si, un accord de branche le prévoit.
Cet accord de branche devra fixer les modalités suivantes :
  • La taille des entreprises concernées par ce type de contrat ;
  • Les activités éligibles à ce type de contrat (et c’est là le point essentiel…) ;
  • L’information de son salarié sur la nature de son contrat ;
  • Les contreparties en termes de rémunération et d’indemnité de licenciement ;
  • Les garanties en termes de formation pour les salariés concernés.
Ce contrat dit « à durée indéterminée » n’en a donc que le nom, puisqu’il ne correspond plus à un emploi pérenne et prendra fin à la fin du chantier pour lequel il a été conclu.
C’est donc en réalité un contrat à durée déterminée dont seule l’échéance du terme reste incertaine.
Il prendra fin à l’issue du chantier, en application d’un mode spécifique de rupture, le licenciement pour fin de chantier, notion porteuse en germe d’un abondant contentieux.
Là encore, ces dispositions s’appliquent uniquement aux contrats conclus postérieurement à la publication de l’ordonnance.
  • Suppression des contrats de génération
Le « contrat de génération » était un dispositif visant à l’insertion des jeunes dans l’emploi, au recrutement et maintien en emploi des seniors, et à la transmission des compétences dans l’entreprise. Ces thèmes figuraient en outre dans les sujets de négociation obligatoire dans les entreprises de 300 salariés et plus. Dans les entreprises de moins de 300 salariés, ce contrat permettaient aux employeurs de bénéficier d’une aide financière de l’Etat.
Ce dispositif est purement et simplement supprimé par l’ordonnance relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail.
  1. … à la « flexi-précarité »
Ces dispositions, qui apportent incontestablement une flexibilité nécessaire à la modernisation du travail et de l’économie, risquent d’accroître le nombre de salariés en situation précaire, en l’absence de toute mesure de contrôle et de compensation.
L’accroissement de cette flexibilité est systématiquement justifiée ses adeptes, par la très fameuse « flexicurité », dont le modèle danois est l’emblème.
Voici donc la flexibilité… mais où est la sécurité ?
Le modèle danois repose en effet sur un équilibre illustré par la métaphore du « triangle d’or » : combinaison de (i) flexibilité pour les entreprises et (ii) de sécurité pour les salariés, (iii) incitations à la recherche d’emploi, et préservation du capital humain. 
La première condition qui consiste à disposer d'une législation souple en matière de protection de l'emploi, notamment sur les  CDI, les CDD et les licenciements (qui feront l’objet de notre dernier tribune) est tout à fait réalisée par les ordonnances.
Cependant, les contreparties à l’accroissement de la flexibilité ne sont pas abordées.
Aucune mesure ne vise, par exemple, à l’instar du modèle danois, à :
  • sécuriser les parcours professionnels mais aussi les parcours de vie  (dépenses sociales, dépenses de soutien actif aux chômeurs, de formation, de reconversion);
  • investir dans l'économie de la connaissance et de l'innovation  (dépenses publiques d’éducation et de recherche et développement);
  • financer par l'impôt de la protection sociale (aide financière pour les chômeurs).
La réforme du travail peine donc encore sur ce point à « marcher sur deux jambes » selon la formule chère à un autre révolutionnaire jupitérien (Mao Zedong) et il semble urgent de rétablir l’équilibre.
Des mesures sont annoncées, certes, mais n’ont pour l’instant rien de comparable avec ce fameux « modèle ».
En l’état actuel, il est en effet écrit par avance que la flexibilité accordée aux entreprises occasionnera très vite beaucoup de précarité, source de difficultés pour trouver un logement, obtenir un crédit, financer une formation, …
Il est donc urgent de s’atteler au volet « sécurité ».
*
On assiste ainsi à une transformation de la relation de travail dans laquelle le salariat se rapprocherait de la situation du travailleur indépendant ou du prestataire.
Ce rêve d’indépendance n’est pourtant qu’un leurre qui compromet la protection des salariés et fait peser sur ce dernier une partie croissante de ce qui relèvent traditionnellement des risques de l’entreprise.
D’une façon générale, on observe une tendance lourde d’orientation vers une relation de travail progressivement dépourvue d’obligations impératives, dans un contexte indifférent à la précarisation, qui entraine insensiblement la mutation du lien de subordination en lien de sujétion.
Il ne faut cependant pas oublier que les Juges ont été les principaux artisans de la construction du droit social depuis le début des années 80. On peut donc espérer qu’ils contiendront les excès de la flexibilité décrétée tant que la sécurité ne sera pas organisée.
 
[1] Nouvel article L1222-9 du Code du travail
[2] Cass. Chambre sociale, 12 décembre 2012, n°11-20.502
[3] Articles L1242-7 et suivants du Code du travail et Articles L1251-11 et suivants du Code du travail
[4] Article L1242-8 du Code du travail
[5] Article L1242-8 du Code du travail
Source : Actualités du droit